Cher public,
Saison après saison, nous vous contons de nouvelles histoires, sur les thématiques les plus diverses. Pour la saison qui s’annonce, ce sera encore le cas, au propre comme au figuré.
Nos principales disciplines (musique, danse et acoustique) sont des formes d’art abstraites qui n’ont pas besoin de mots. Pourtant, elles ont souvent une trame narrative, visible ou non. L’inspiration est multiple. Les artistes la puisent dans les épopées mythologiques, les icônes religieuses, les sagas populaires ou l’actualité. Mais la source de cette créativité se trouve aussi dans la rue, où chaque passant est l’acteur de sa propre histoire. Bas Losekoot, photographe de la saison, excelle à rendre l’ordinaire extraordinaire. Fort de ses missions photographiques en Asie, en Afrique et en Amérique du Nord, ce chasseur d’images s’est aussi promené dans les rues de Bruges pour y saisir la diversité d’une ville vivante.
L’éventail des récits, la présentation d’histoires à plusieurs voix, est donc le point de départ de projets allant des Évangiles au Livre des morts tibétain, en passant par les 1 001 Nuits et les poèmes de Pétrarque. Les autrices afrodescendantes Toni Morrison, Maya Angelou et Clarissa Pinkola Estés seront au-devant de la scène. Elles ont écrit un cycle de chansons Women.Life.Song présenté par Neske Beks, philosophe de la saison. Artiste pluridisciplinaire, Neste Beks ouvrira les perspectives, du parcours de grandes figures féminines de la littérature et de la musique aux textes et rituels sur le lien et le soin de soi.
Des artistes, dont le chorégraphe Jan Martens dans FUTUR PROCHE ou l’autrice Dominique De Groen dans le cycle de chansons Counterforces, partiront en quête de nouveaux récits en forme de réponse et de consolation à un avenir peu réjouissant. Dans cette catégorie, épinglons également Kris Defoort, compositeur de la saison, qui, aux côtés de la chanteuse Veronika Harcsa, présentera le nouveau projet chanté Pieces of Peace. Compositeur de plusieurs opéras magistraux, Kris Defoort part souvent du texte. Cette saison fera tour à tour la part belle à des œuvres orchestrales grandiloquentes et à un répertoire intime, écrit ou improvisé.
Le théâtre musical abordera des thèmes plus actuels, avec des projets tels que Prisoner of the State de David Lang et une nouvelle édition de All Arias, le festival de théâtre musical qui présentera, entre autres, deux créations sur la position de la femme, dans le monde arabe et dans l’histoire.
Dans des compositions vocales, le récit résonnera avec clarté et puissance, qu’il s’agisse de poésie, de prose ou de théâtre, dans des cycles de chansons, des oratorios ou du théâtre musical. Le non-dit se révélera dans des poèmes symphoniques ou des musiques de ballet comme Die Seejungfrau de Zemlinsky, le Poème de l’extase de Scriabine, la Moldau de Smetana ou Petrouchka de Stravinsky. Un orchestre aux mille couleurs donnera vie à ce kaléidoscope d’histoires. Le piano suffit aussi parfois à nous emporter vers un ailleurs, comme dans les Années de pèlerinage de Liszt ou la Suite lyrique de Grieg. Dans Dedicatio de Kris Defoort ou les Variations Enigma d’Elgar, des liens personnels du compositeur se révéleront au fur et à mesure des mouvements. Dans le cadre de la semaine Olivier Messiaen, nous entendrons sa déclaration d’amour éperdue à sa première femme, les Poèmes pour Mi, et son hommage magistral à sa seconde épouse, la Symphonie Turangalîla. Ces anecdotes sur les compositions feront l’objet d’un regain d’intérêt au cours de la prochaine saison.
Dans le programme Danse aussi, la narration prend le pas sur l’abstraction, avec des projets tels que Mozart / Concert Arias d’Anne Teresa De Keersmaeker, le Jungle Book reimagined d’Akram Khan ou le triptyque de Peeping Tom. La danse envahira encore Bruges lors des festivals December Dance et Bits of Dance, mais aussi désormais avec un parcours de créateur annuel. En partenariat avec le centre culturel de Bruges et KAAP, un nouveau chorégraphe entame chaque saison un parcours de deux ans. Lisa Vereertbrugghen ouvrira le bal, avec un parcours qui aboutira à une nouvelle création lors de la saison 23-24. Lisa Vereertbrugghen est l’un des quatre artistes dont le Concertgebouw accompagnera l’évolution artistique. Trois musiciens complètent le quatuor. Chez eux, le focus se fera sur la transition de l’interprète au créateur. La soprano Lieselot De Wilde, le pianiste Frederik Croene et le joueur d’oud Tristan Driessens se profileront dans des projets ambitieux en tant que compositeurs et/ou créateurs de projets scéniques. Grâce au soutien indéfectible de ces artistes, le Concertgebouw franchit personnellement aussi une nouvelle étape dans sa mission de maison de la création.
Pour la deuxième édition du festival Têtes-à-têtes, nous rechercherons à nouveau l’intimité de la salle de musique de chambre. Le dialogue entre le public et entre l’artiste et l’auditeur sera au cœur d’une agréable série de concerts qui se terminera dans le salon au sixième étage. Quatre jeunes pianistes interpréteront des Histoires de piano. Des Lieder de Schubert et de Boulanger cohabiteront avec des compositions de musique nouvelle et nous engagerons un dialogue entre traditions musicales dans la série Ton sur ton. Des musiciens d’Asie et du Moyen-Orient titilleront nos oreilles avec leurs instruments et leur répertoire intrigants, un contexte idéal pour un moment de deep listening.
Dorénavant, vous risquez d’ailleurs d’entendre parler plus souvent de Deep Listening, point de départ de nos projets autour de l’art sonore et appel à s’ouvrir à l’inconnu et une nouvelle écoute. À la faveur de deux grands événements par saison, vous découvrirez la richesse et la multiplicité de l’écoute lors de conférences, de concerts, de lectures-performances, et d’ateliers. Dans cette saison consacrée aux histoires, cette métaphore permet d’aborder comme il se doit la diversité et la complexité d’aujourd’hui. « Entendre ne veut pas dire écouter, car l’ouïe est un sens, mais l’écoute est un art. ».
L’histoire de cette saison ne connaîtra une fin heureuse que si nous parvenons à toucher un public nombreux et diversifié. Dès lors, le Concertgebouw pour tous reste notre devise : des spectacles scolaires à l’accueil extrascolaire, en passant par les artistes amateurs, les patients Alzheimer ou les récits de détenus de la prison de Bruges dans le cadre du projet TimeLock.
Les grosses machines comme la Bach Academie, le Budapest Festival, Iedereen Klassiek ou CLUB Surround sont de retour, mais la saison sera aussi riche en rebondissements avec, en coup de théâtre, quelques aventures inédites.
– Jeroen Vanacker, directeur artistique